Il n'était pas plus tard que minuit quand je me réveillai et le feu - parce que je n'avais à brûler que du pin, un bois qui chauffe beaucoup moins que le hêtre ou l'érable — s'était éteint. Je crus entendre quelque chose et pris la carabine posée le long de mon sac de couchage. Je me levai, rallumai un feu et décidai de faire du café et de veiller toute la nuit plutôt que me laisser attaquer par des bêtes sans nom qui, j'en étais sûr, n'existaient que dans les fantasmes créés par mon cerveau en manque d'alcool « Voici le verre qui apaisera toutes mes souffrances », chantait Webb Pierce. Avant quatre heures le ciel s'éclaircirait. J'ai toujours prêté une attention démesurée à l'heure. Cela fait partie des problèmes que m'ont posés mes quelques passages dans le monde du travail : cette prévisibilité incontournable qui exaspère tous les employés, une pléthore d'horloges et, juchée sur mon cou trop maigre, ma tête qui suit leurs cercles parfaits, qui tourne, encore et encore. Je me rappelle avoir travaillé dans un bureau à Boston et, au cours de la seconde semaine, avoir un jour levé les yeux vers l'horloge alors qu'il était deux heures et demie et non quatre heures et demie comme je l'espérais. Je m'étais mis à pleurer, de vraies larmes, salées (certainement dues aussi aux cinq doubles scotchs de mon déjeuner). Un enfant de vingt-sept ans désespéré par la lenteur du temps, avec des larmes qui coulaient sur ses joues rondes et tombaient sur son col déboutonné parce que cette chemise, sortie du tiroir de la commode de son père mort, était trop petite pour lui."
Extrait de Wolf, Jim HARRISON, 1971
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